FEMMES CREOLES
Véronique Doumbé
REALISATRICE ET MONTEUSE (CAMEROUN / MARTINIQUE)
“Je rêve d'adapter des romans africains au cinéma.”
D
e mère martiniquaise et de père camerounais, Véronique Doumbé a grandi entre Ie Cameroun,
la Côte d'lvoire et la France. A 25 ans, elle trouve en New York la ville de ses rêves. Celle qui lui offre I'énergie et I'espace dont elle a besoin. Vingt ans plus tard, elle conserve Ie même enthousiasme pour cette ville qui I'a révélée à elle-même,

A quelle occasion avez-vous décidé de vous installer aux États-Unis ?
A 25 ans, en plein dans des études de droit, j'ai choisi de tout arrêter et de quitter Paris. J'éprouvais un sentiment de ras-le-bol général. J'étouffais dans ma vie bien rangée, Je ne savais pas ce que je voulais faire, mais j'avais besoin de changement. J'ai décidé d'aller à New York. Là, j'ai rencontré une jeune femme passionnée de cinéma, qui m'a ouvert les yeux sur un monde que j'ignorais. Je me suis rendu compte que c'était ma voie et ai décidé de suivre une formation.

Depuis, vous n'avez pas quitte New-York. Qu'est-ce que vous appréciez dans cette ville?
J'aime son anonymat et son immense tolérance. New York offre de manière unique la possibilité d'être qui I'on veut être et Ie droit de se redéfinir constamment. J'apprécie également la façon d'être sympathique et sans prétention des New-Yorkais. Ils savent apprécier Ie présent et se donner la chance de vivre leurs rêves. Cette ville m'a véritablement transformée. Dans mon corps comme dans ma tête. Elle m'a appris a être plus libre.

Comment vous définissez-vous par rapport à vos racines martiniquaise et camerounaise ?
J'ai surtout vécu en Afrique. La première fois que je suis allée à la Martinique, je m'y suis sentie très à I'aise. J'ai eu I'impression d'y avoir déjà vécu. J'ai eu cette même impression à New-York. En fait, je me sens citoyenne de cette planète, Camerounaise, antillaise et aussi américaine, par adoption. Mais s'il existait un passeport new yorkais, je me déclarerais volontiers de nationalité new-yorkaise.

Comment conciliez-vous Ie fait d’ être mère, de mener une carrière de réalisatrice et de gérer et diriger un studio de montage ?
Pour moi, rien n'est plus important que d'être mère. D'ailleurs, je n'ai pas hésité à mettre au ralenti mon travail pendant dix ans pour m'occuper de mes deux filles. Mon plus grand militantisme, c'est de les éduquer, et je suis ravie de les élever à New-York. Moi-même, j'aurais aimé grandir ici, parce qu'il y a de tout. Le bien, Ie mal. Et puis, on rencontre des gens de partout. Mes filles peuvent aller voir une exposition et Ie soir dîner avec I'artiste,

Véronique Doumbé: "La Première fois où je suis alleé à la Martinique, je m'y suis sentie très à l'aise."


Quel est votre regard sur Ie racisme aux Etats Unis ?
On a I'habitude de dire qu'iI y a plus de racisme chez les Américains. Mais, ici, I'avantage c'est qu'on nomme les problèmes. On n'en fait pas des tabous. C'est peut-être parfois excessif, mais au moins, ça fait bouger les choses. Quand je suis arrivée ici, je voyais des Noirs partout. Pas qu'à la poste ou dans les hôpitaux, comme en France où “les gens de couleur” étaient invisibles, où personne ne se levait pour se plaindre, pas même les Antillais, qui étaient pourtant aussi victimes de cette invisibilité. C'est pourquoi I'action de Calixte Beyala, présidente du Collectif Egalité, me touche profondément. Elle a osé se lever et revendiquer des droits, Même si ça gêne.


Le cinéma ne représente-t-i1 pas un outil pour combattre cette "invisibilité" ?
Oui, En fait, ce qui m'intéresse, c'est de mettre en image I'expérience des Noirs de toute la diaspora africaine. De donner à voir I'expérience d'autres histoires, trop peu représentées par les médias. Jusqu'à présent, j'ai fait des documentaires. Aujourd'hui, j'ai envie d'aborder la fiction. Je souhaite réaliser des films à partir d'histoires déjà écrites. J'ai par exemple envie demettre en image des contes antillais. Je suis fascinée par leur qualité universelle. Je rêve aussi d'adapter des romans africains au cinéma.

Site : www.ndolofilms.com
E-mail: vero@ndolofilms.com

Propos recueillis
par Christine Tully-Sitchet
Dernier film: "Denis A. Charles: An interrupted conversation” (2002) - Prix du meilleur documentaire au XVII Black International Cinema (Allemagne) - Prix du public du Festival Detroit Docs (USA).

XXV
N 393 -AMINA 2003