"Denis A. Charles donnait,
ne savait pas dire non. Il en est mort."


Entretien avec la réalisatrice
Véronique N. Doumbé (2/2)

Par Christian Gauffre

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Il fallait toujours rappeler à Denis que je faisais un film sur lui ! Il lui arrivait de disparaître pendant des mois, ce qui me rendait folle -- mais il savait tout de même m’appeler quand c’était important. Ainsi, il a fait deux concerts avec Susie Ibarra. Pour le premier, Denis m’a conseillé d’aller filmer – il sentait qu’il allait se passer quelque chose. Et effectivement, le public était fasciné. Tout le monde était emporté par la force de la musique. Je l’ai dit, je ne suis pas une spécialiste du jazz, mais c’était vraiment un moment de bonheur. Deux batteurs, deux personnes, qui s’aimaient beaucoup. Car il y a ce qui se passe sur scène, mais aussi tout le reste.

Ce concert-là, vous l’avez filmé en entier ?
Oui, comme tous les autres concerts. Il existe une version CD du duo, mais elle a été enregistrée lors de la seconde rencontre, moins intéressante à mon avis.

Vous pourriez envisager de sortir un DVD de ce concert-là, dans son intégralité…
Oui, avec l’accord de Susie… Mais ce n’est pas à l’ordre du jour. J’essaie de prendre mes distances avec tout ça, j’ai quand même travaillé cinq ans dessus ! C’était plus qu’un travail, d’ailleurs.

Un personnage étrange intervient dans le film, c’est une jeune femme qui s’appelle Roxanne Butterfly. Elle semble française, non ?
Oui, c’est une Toulonnaise qui est arrivée aux Etats-Unis à l’âge de dix-huit ans. Elle était venue pour apprendre à faire des films. Elle s’est mise à danser un peu par hasard, ses partenaires lui ont dit qu’elle avait du talent, elle a arrêté tout le reste et elle s’est consacrée à la danse ! Elle a maintenant une compagnie, Beauties and the Beast, extraordinaire, qui occupe une certaine place sur la scène newyorkaise. Elle connaissait Denis parce que ses parents, des amateurs de jazz, la traînaient dans les concerts quand elle était petite. Quand elle est arrivée à New York, elle a retrouvé Denis, et ça a changé toute sa vie. C’était une de ses grandes amies.


Roxane Butterfly

Il y a plusieurs films dans votre film. Votre conversation avec Denis d’abord. puis des témoignages classiques –Steve Lacy ou Archie Shepp par exemple –, la« couche » intime – ses femmes –, et une autre faite d’amis très proches – Roxanne notamment.
C’était tout ça Denis : des amis de toutes les couleurs, de tous les âges, dans tous les secteurs. A sa mort, les gens qui se sont manifestés n’étaient pas tous des musiciens. Il y avait l’épicier du coin ! Denis n’était pas qu’un musicien. Je voulais que les gens sachent qu’en dehors de sa musique il y avait d’autres choses, d’autres moments. Il naviguait dans des cercles très différents et qui ne se recoupaient pas forcément. Il avait beaucoup d’amis sur qui il pouvait compter.

On peut entendre notamment le témoignage de Didier Levallet.
C’est Denis qui m’avait demandé de l’interviewer, moi je ne le connaissais pas. Il a beaucoup fait travailler Denis. Ceux que j’ai rencontrés à Paris, en France, c’était toujours sur recommandation de Denis.


Didier Levallet

Que pensez-vous du film, même s’il n’a rien à voir avec votre intention de départ ?
J’en suis satisfaite. Pendant tout le montage, Denis était avec moi. Chaque fois que j’étais perdue, je lui demandais « Je fais quoi ? » Dans les moments de déprime, il était là aussi. Et puis, quand le film a été terminé, sa présence s’est comme évanouie… Je pense qu’il est satisfait, et sa fille aussi : c’est vraiment la seule chose qui importe. Que certains musiciens n’aient pas aimé, ce n’est pas mon problème.

Des musiciens qui interviennent dans le film ?
Pour certains, oui, que je ne nommerai pas. Ils ont d’ailleurs fait une campagne contre moi avant la première. J’ai pourtant expliqué dès le départ que c’était un film sur Denis, pas sur eux. Je n’ai jamais voulu faire un film sur le free jazz non plus, mais seulement sur un homme qui en faisait. Je me rappelle en particulier de l’arrivée de Frank Lowe en compagnie de Billy Bang à la projection que j’avais organisée avant la Première pour les musiciens. Je tremblais un peu. A la fin, Frank est venu me trouver : « Je ne comprends pas ce qu’on m’a raconté… Ne change rien, même pas une virgule. » Je me suis sentie libérée. Le jour de la Première, beaucoup de gens n’ont pas pu rentrer, tellement il y avait du monde, et à la fin, toute la salle s’est levée pour applaudir. Je me suis dit qu’ils avaient compris ce que j’avais voulu faire.


Frank Lowe

Maintenant que voudriez-vous que ce film devienne ?
J’aimerais qu’il soit diffusé à la télévision en France, puisque c’est ici, en Italie et en Allemagne, qu’il gagnait vraiment sa vie. En attendant, il circule dans les festivals, partout aux Etats-Unis, et un peu en Europe.

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et celui de Denis A. Charles.